vendredi 22 mars 2013

Richard Coeur de Lion, L'Ombre de Saladin, Mireille Calmel

Après sa première publication, Le Lit d'Aliénor en 2001 qui connu un immense succès, Mireille Calmel nous offrit la suite des aventures de Loanna de Grimwald, enchanteresse oeuvrant au côté de sa reine, Aliénor d'Aquitaine, pour le bien du royaume d'Angleterre avec deux merveilleux romans, Aliénor, Le Règne des Lions en 2011 et Aliénor, L'Alliance brisée en 2012. Fidèle autant à ses personnages qu'à ses lecteurs, Dame Mireille nous enchante une fois de plus avec son nouveau roman, Richard Coeur de Lion, L'Ombre de Saladin, sorti le 14 mars 2013, où se poursuit le règne des Plantagenêts.

Nous suivons, dans ce premier opus (cette nouvelle saga se découpe en deux volumes), les affres de la troisième croisade, entre intrigues de cour, tentatives d'assassinat, trahisons, amours indéfectibles et enfantements. Toujours avec la même fluidité d'écriture, Dame Mireille nous transporte dans un roman historique emprunt de magie, de haine, de courage, d'erreurs mais surtout d'amour et d'optimisme. Loanna de Grimwald, dernière grande prêtresse d'Avalon, combat toujours férocement au côté de sa reine, Aliénor, et du nouveau roi d'Angleterre, Richard, contre les attaques faites à l'empire Plantagenêt, autant guerrières que morales. Accompagnées toutes deux de leurs fils, filles et petits-enfants, les deux amies de toujours se battent pour la paix d'un royaume, devenu coûteusement empire, contre Saladin, sultan aussi mystérieux que féroce, venu étendre son propre empire sur des terres ardemment défendues voire convoitée par Richard autant que par le roi de France à ses côtés.
Trois épées de légendes, forgées en Avalon, pourraient jouer en la faveur de Richard. Marmiadoise aux mains de Loanna, Durandal à celles de Godefroy, petit-fils de Loanna et Caliburnus ... je n'en révèlerait point d'avantage ! Mais Jean sans Terre, fils cadet d'Aliénor, intrigue, tapi dans l'ombre, gonflé de haine et d'orgueil bafoué. Menacés sur tous les fronts, Loanna, Eloïn, sa fille et maitresse de Richard, et Aliénor se doivent de protéger l'empire Plantagenêt aux cotés de son nouveau roi.

Que dire de ce nouveau roman ? Il est envoûtant, comme toujours. Une fois en main, vous ne pourrez le lâcher sans que vos pensées soient encore rivées sur le suspens de l'histoire. Voilà toute la magie de Mireille Calmel : nous transporter, littéralement, au coeur de l'Histoire grâce à des personnages dont nous suivons les périples depuis des années. On tremble pour la vie de tous, on s'horrifie des actes de Jean, on pleure pour Loanna et Aliénor, au destin de mères contrarié par celui, impérieux, du royaume et on tombe en amour pour ces personnages dignes, fort, courageux et, comme nous pour ce livre, amoureux. Nous vivons la reconstruction de l'empire Plantagenêt par Richard, succèdant à feu son père Henri qui lui laissa un royaume ruiné de trop de frasques, orgies et excès de débauches et d'orgueil. Nous respirons les préparations de guerres et les batailles, l'amour de Richard pour Eloïn, celui Loanna pour les siens, que la peur étreint à la simple évocation de Saladin. 

Beaucoup de mystères seront dévoilés, des secrets livrés et d'autres encore à percer. Une évidence pourtant, Dame Mireille nous tient ferrés, indéniablement.
Le tout servi avec une construction romanesque sans failles, fluide, efficace, laissant à chaque protagoniste sa propre place et existence, et une plume digne des plus grands troubadours de ce siècle (Moi, sous la charme? Ça se saurait...).
Un petit conseil cependant pour les futures victimes nouveaux arrivants dans l'univers calmélien, commencez par Le lit d'Aliénor puis Aliénor (t.1 et 2) avant de poursuivre avec Richard Coeur de Lion, L'Ombre du Saladin. De nombreuses références étant faites à des  événements ayant eu lieu dans les précédentes sagas, vous y gagnerez en compréhension.
Mireille Calmel est devenue, depuis tout ce temps passé à la lire, une véritable amie de lettre, comme pour beaucoup d'entre nous d'ailleurs. Avec ces livres, la solitudes n'existe plus et l'espoir nous embrase.

Un biscuit à dévorer avec avidité, gourmandise et surtout sans modération !

Bonne lecture à toutes et à tous !

Richard Coeur de Lion, L'Ombre du Saladin, XO éditions, 2013, 413 p.

dimanche 3 mars 2013

Citation piochée # 2

"Je pensais, en l'écoutant, Cet homme doit lire les rubriques psychologie des magazines féminins et croire à leurs promesses, il est plein de bonnes intentions, d'enthousiasme, mais incapable de réaliser qu'il ne suffit pas d'identifier un problème pour le résoudre. Il est comme ces psychanalystes qui mettent le doigt sur vos noeuds, appuient très fort puis vous écoutent une demi-heure trois fois par semaine pendant dix ans à prix d'or, et quoi ? Au bout du compte, ces noeuds, vous en connaissez chaque fibre, chaque contour, chaque dessin, chaque marque d'usure, mais vous n'en avez pas dénoué un fil, au contraire, vous finissez par en mesurer la solidité, l'irréversibilité et ce constat vous amène à consulter le même psychanalyste les dix années suivantes, imbibée d'antidépresseurs : des mots, toujours des mots." p.112, L'atelier des miracles, Valérie Tong Cuong.

samedi 2 mars 2013

L'atelier des miracles, Valérie Tong Cuong

"Le plus dur c'était d'éviter de penser. Parce que la gamberge, ça vous éparpille pire qu'une mine antichar. C'est pour ça que je parlais tout le temps."p.22

L'atelier des miracles, de Valérie Tong Cuong, ou comment vous faire battre le coeur à la chamade durant plusieurs centaines de pages. Avant toutes analyses, critiques ou citations, une petite phrase personnelle pour décrire mon vécu de cette lecture. Impossible, quelques soient ses expériences de vie, de ne pas s'identifier aux personnages. En cela, ma lecture n'a pas laissé mon palpitant tranquille ne serait-ce qu'une seconde. Des voix d'outre-tombes, vous dis-je ! Une "Madame Irma" révélant mes démons et mes doutes, humains et en cela partagés pour la plupart par le reste de mon espèce, ne m'aurait plus touchée que ce livre. Ou plutôt, ces histoires.

Trois personnages découpent le récit : Mariette, professeur d'histoire-géo dans un collège dit sans difficultés, mariée et mère de famille menant une vie rodée au millimètre près, sans aucune ride taquinant la surface d'un lac paisible, gifle un jour un élève redouté, bref craque complètement devant témoins ; Millie, jeune fille transparente d'une vingtaine d'années, sans substance (croit-on), se réveille dans son appartement en flamme et se jette par la fenêtre (instinct de survie ou désir de suicide ?), mais réchappe miraculeusement à sa chute ; et, enfin, Monsieur Mike, S.D.F d'une quarantaine d'années au parler délectable, ex-militaire, qui squatte un porche piqué à un clochard revanchard légèrement allumé du cigare, se fait sérieusement agresser par ce dernier et se retrouve à l'hôpital.
Leur point commun : un vie "ratée", une existence inexistante, des rêves avortés, des tragédies, des chutes libres, un homme appelé Jean et un Atelier un peu particulier.
Récupérés à la petite cuillère par Jean, ces personnages vont vivre quelques semaines dans l'Atelier, association ayant pour but de réparer les âmes brisées et dont on dit qu'il fait des miracles. Loin du salut chrétien (et donc abnégation divine, devenir meilleur, patipata), l'auteur raconte, à travers la voix de ses trois personnages, le chemin parcouru, les fracas, les âmes déchirées et étiolées en cour de route et l'idée de sublimer la destruction passée. Les personnages sont touchants, leur désespoir pur et surtout pas excessivement frustrant pour le lecteur. Je m'explique. 
Lorsqu'un écrivain traite du désespoir, dirais-je commun, d'un être originaire (j'entends ce que nous avons vécu, ce que nous pourrions vivre, ce que l'on craint de vivre, bref pas une tragédie grecque, plutôt une tragédie "banale"), il est délicat de ne pas verser dans l'excès purement artistique, un effet de style sans grand intérêt afin de rendre extraordinaire ce qui ne l'est pas ou l'est uniquement dans sa simplicité, son essence (comme ce que je suis en train de faire maintenant, par exemple), qui frustre le lecteur et lui donne irrémédiablement envie de botter les fesses d'un protagoniste, de le secouer un bon coup, énervé par l'apathie que génère le désespoir. Autant dire, traiter du désespoir de Monsieur ou Madame-Tout-Le-Monde n'est pas un exercice aussi facile qu'on l'imagine. Entre le cliché, le snobisme ou le déversement d'emphases pseudo artistiques, difficile de faire de l'ordinaire une fiction originale.
Et là, pépite de dosage : l'atelier des miracles. Oui, les personnages sont au fond du trou, ils n'y croient plus, ils se sentent cuits et broyés par la vie, fatalistes, et pourtant une part d'eux continue de lutter, continue à crier l'envie de vivre autrement, autre chose, le désir de survie à travers celui d'exister. Mais on les comprend parce qu'on est tous passé par là, on a tous eu des épreuves à surmonter, plus ou moins difficiles, plus ou moins surmontables. Alors, non, ils ne nous agacent pas au fil des pages. Au contraire, on sent la renaissance proche, on sent qu'il se passe un truc vraiment chouette dans leur vie, un changement, un virage, un croisement et autres mauvaises comparaisons routières que j'ai en tête. Question de dosage, vous dis-je. On suit leur périple, on cherche à savoir si l'Atelier est une association caritative ou un filière tordue d'une mafia en proie aux remords en recherche de rédemption, on doute de la sincérité de chacun et on craint qu'ils ne redégringolent à la moindre agression du monde. Ils sont fragiles nos personnages mais ils sont captivant de force et d'envies, alors on les bichonne de page en page. On tremble pour eux, on veut savoir comment ils vont affronter tel ou tel passage, on apprend des choses sur leur passé aussi. 
Bref, on suit une drôle de séance psy sans la caricature du psy lui-même, juste les mots d'un écrivain, ô tellement plus réjouissants et véritables. On est loin d'une analyse de psycho-magasine, on est dans la "prouesse" littéraire (c'est pas du Chateaubriand non plus mais fluide, clair et concis) avec une vulgarisation du désespoir, des pensées "décortiquées" avec coeur par l'auteur et loin d'une découpe chirurgicale des émotions. Ça déculpabilise d'être humain, en somme. Vous savez, les émotions, les sentiments, les erreurs, les échecs, les victoires, les humiliations, les trucs qu'on nous demande de supporter parfois jusqu'à l'insupportable. Bah voilà, ce livre vous remet à leur juste place deux ou trois trucs de la vie, sans trop de morale, sans dichotomie affligeante; vous remets un coup de collier sans slogan de "winners", bref il fait sacrément plaisir. Se lit aussi vite que je mange un croissant, argument de vente indéniable parce que je mange les croissants très très vite, c'est un fait.

Une belle fiction aux allures de roman initiatiques, pas besoin d'avoir lu Proust ou d'être expert en psychologie de comptoir pour apprécier ce roman et comprendre les mécanismes décris. Petite note négative, à mon humble avis, pour la fin. Sans la révéler, je l'ai trouvée un peu simplette voire clichée par rapport à l'ensemble du livre qui évite pourtant, parfois de justesse, certains autres clichés tentants. Ah oui, petite mention spéciale pour l'image attachée à la couverture que je trouve sublime (sobre mais originale, j'adore). Et l'auteure emploie par petite touche le mot "grappe" dans son livre, délicieusement placé et qui donne à la phrase une dimension très visuelle. C'est anecdotique, certes mais j'aime bien !

Un bon biscuit, à trimballer dans la poche et à partager ! Régalez-vous !


L'atelier des miracles, Valérie Tong Cuong, ed JC Lattès, 2013, 266p.

vendredi 23 novembre 2012

Citation piochée #1

"Et souviens-toi qu'il n'y avait pas moyen de faire autrement. L'ordre chronologique d'abord : au rez-de-chaussée, inconnu, mystère originel, merdier général, foutoir en combustion, bref les pièces communes. Au premier étage, légère émergence du chaos, balbutiements médiocres, l'homme nu se redresse en silence, bref, toi, Mathias. Montant plus avant l'échelle du temps...
- Qu'est-ce qu'il a à brailler comme ça ? demanda Vandoosler le Vieux.
- Il déclame, dit Mathias. C'est tout de même son droit. Il n'y a pas d'heure pour les orateurs.
-Montant plus avant l'échelle du temps, continua Marc, bondissant par-dessus l'Antiquité, abordant de plain-pied le glorieux millénaire, les contrastes, les audaces et les peines médiévales, bref, moi, au deuxième étage. Ensuite, au-dessus, la dégradation, la décadence, le contemporain. Bref, lui, continua Marc, en secouant Lucien par le bras. Lui, au troisième étage, fermant de la honteuse Grande Guerre la stratigraphie de l'Histoire et celle de l'escalier. Plus haut encore, le parrain, qui continue de déglinguer les temps actuels à sa manière bien particulière. [... ] On ne peut pas massacrer cette cage d'escalier qui demeure la seule chose qu'on ait mise dans le bon ordre. "

Debout les morts,  Fred Vargas, p.61.

jeudi 22 novembre 2012

Chocolat, de Joanne Harris


"Et à présent? À quoi est-ce que je crois en cet instant précis? " "Je crois qu'être heureux est la seule chose qui compte", lui répondis-je enfin. Le bonheur. Aussi simple qu'un verre de chocolat ou aussi tortueux que le coeur. Amer. Doux. Vivant. p. 216.

Lorsque le froid s'invite dans nos régions, lorsque le vent du Nord souffle l'hiver, lorsque les réjouissances culinaires des fêtes s'annoncent, il est grand temps de faire sa liste au Père Noël (Saint Nicolas, en ce qui me concerne!) et lui demander de succulents biscuits à dévorer avec les yeux de l'âme.

Aujourd'hui, je vous sors de ma boîte à biscuits, un classique de gourmandise littéraire : Chocolat de Joanne Harris. Découvert, il y a quelques années, grâce au film du même nom de Lasse Hallström, avec Juliette Binoche et Johnny Depp au casting notamment, j'avais adoré l'ambiance cinématographique alors pourquoi pas celle du livre? Absolument pas déçue par le livre, au contraire. Il regorge de petites douceurs et réflexions, absentes dans le film, plus dans la romance (je trouve) que le livre dont il s'inspire. Mais point d'étude comparative ! Et passons donc à notre table littéraire !

Vianne Rocher et sa fille de six ans, Anouk, "arrivent portées par le vent du carnaval", un 11 février, dans le village de Lansquenet-sous-Tannes, perdu dans la campagne française. Dès les premières pages, les effluves du carnaval, des crêpes chaudes et sucrées, des bonbons ramassés par terre et fourrés dans la bouche ou dans les poches, ces effluves nous happent dans un univers doux et mystérieux. Ces deux étrangères perturbent les villageois, qui les scrutent avec curiosité et froideur. Mais ils ne sont pas au bout de leurs surprises. Cette femme venue d'ailleurs avec ses vêtements colorés et sa fille à l'imaginaire débordant louent l'ancienne boulangerie, prés de la place de l'Église. Retapée, repeinte et aménagée, cette vieille échoppe devient une chocolaterie aux allures de bonbonnière.
Hérésie, aux yeux du curé Reynaud, que d'ouvrir ce lieux de débauche gustative, de plaisir des sens affiché, de tentations presque sensuelles, tout enrobé de chocolat, en plein carême ! Un brin sorcière, Vianne va pourtant timidement conquérir un bon nombre d'habitants, lisant dans les coeurs leurs malheurs qu'elle console avec du chocolat. Le pouvoir du chocolat est grand et sa fabrication se déroule comme un rituel païen, un enchantement des temps anciens.
Mais le curé Reynaud ne l'entend pas de cette oreille. Rien ne viendra compromettre la pieuse intégrité religieuse des habitants et ne le détrônera de son rôle de berger. Quoi de plus grand, de plus pur que le repentir, la volonté de Dieu pour adoucir le quotidien? Comment peut-on songer à ne pas jeûner, être miséricordieux et s'y maintenir contre tous plaisirs, tentations de l'enfer? La ferveur du curé, sous couvert de prêches manichéens sur le Bien et le Mal, obscurcie son jugement. Une guerre s'ouvre entre cette chocolatière nomade, athée, sans alliance et pourtant mère, trop délicieuse pour n'être pas tentante et ce curé, au passé sombre, à la culpabilité pesante et aux actes parfois cruels, justifiés, dans son imaginaire, par la volonté divine et le dévouement indéfectible qui l'accompagne.
Beaucoup de personnages différents croisent la route de Vianne et ses douceurs chocolatées. Certains s'apaisent, améliorent leur vie, d'autres luttent et s'engagent contre celles et ceux qui bouleversent leur sens de la moralité. Notamment ces gitans, installés avec leurs péniches sur les berges de la Tannes aux beaux jours. Un code de moralité toute "chrétienne" circule alors dans le village afin de boycotter l'arrivée de ces voyageurs.
Au-delà même du combat entre Vianne, sa chocolaterie, les nomades, le curé et ses partisans, ce livre parcours toutes les joies procurées par la gourmandise. Les saveurs sont décrites avec force et parfums, nous voyageons au rythme des confections sucrées et amères de Vianne, et ses bienfaits. Nous rencontrons des personnages d'un autre temps, au charme très commun et pourtant magiques au quotidien. L'écriture est fluide, poétique, incroyablement bohème et rafraichissante. Ce roman est devenu un classique de ma boîte à biscuits, un parfait cadeau à offrir encore et encore ! Sous une plume délicate et sucrée, on vogue aux grès du parcours de Vianne comme des autre protagonistes. Un vrai moment de délices et de magie, bohème et coloré comme j'aime.

Un pétillant biscuit à dévorer sans modération ! De ceux qui vous laissent des étoiles dans les yeux et les papilles !

"Oh, c'est évident. Entre sorcières, on se reconnaît j'imagine. " Elle éclata de rire, un rire qui ressemblait à des violons affolés. "M'sieur le curé ne croit pas à la magie, reprit-elle. À vous dire la vérité, je ne suis pas si sûre qu'il croie même en Dieu." Il y avait dans sa voix un mépris rempli d'indulgence. "Il a beaucoup à apprendre, cet homme-là, même s'il a un diplôme de théologie. Et ma sotte de fille aussi. On ne décroche pas de diplôme de vie, n'est-ce pas?" Je lui concédai que non, et lui demandai si je connaissais sa fille. p. 42.

HARRIS, Joanne, Chocolat, J'ai Lu, 382 p.


vendredi 16 novembre 2012

Le cheval soleil, de Steinunn Sigurdardottir


" J'ai toujours la photo dans mon portefeuille, où que j'aille, comme si c'était mon bien-aimé et qu'il fût mort, en plus. C'est que je tiens à m'avoir sur moi telle que je suis. Telle que tu m'as vue, et tu es le seul à m'avoir vue telle que je suis ou telle que je pourrais être. " p.64.

Contrairement au livre de Jonasson, le récit ne semble suivre aucun fil conducteur. Comme judicieusement précisé sur la quatrième de couverture, l'histoire est tissée comme une toile d'araignée et se lit comme un conte plus qu'un roman.
Lilla raconte l'histoire de sa vie dans une sorte d'enchevêtrement de petits chapitres, chacun propre à un souvenir. Elle décrit son enfance dans la maison de Sjafnargata, les jeux imaginaires partagés avec son frère Mummi, la quasi indifférence de ses parents, Ragnhildur et Haraldur, tous deux médecins et plus concernés par leurs patients qu'autre chose, la dissolution d'un orchestre de mandoline, sa nourrice, Magda, partie avant ses sept ans et seul référent maternel, sa vie de jeune femme amoureuse, l'échec de son mariage, ses filles, l'ombre de son amour d'adolescente sur sa vie. Le conte de son parcours nait lorsqu'elle revoit l'amour de sa vie, marchant dans les rue du village de son enfance, faisant l'effet d'un choc trop doux pour ne pas le sentir, trop tendre pour ne pas se raconter avec sincérité.
Tous les souvenirs se suivent sans réelle chronologie mais plutôt par thématique. L'enfance, des parents immatures, qu'elle nomme par leur prénom, la poussant à grandir trop vite, les séances de spiritisme dans le salon vert qu'affectionnent sa mère, les restes de repas qui nourrissent presque une semaine, sa rencontre avec Nelli, alcoolique un peu folle et mère orpheline de son enfant, sa solitude, son amoureux, les paysages d'Islande.
On explore les souvenirs de Lilla à travers les grandes interrogations de la vie : la mort, la réincarnation, les esprits, l'enfance, les chagrins d'amour inconsolés, l'amour et son pourvoir, les jeux imaginaires, les histoires qu'on s'invente, le rythme de vie particulier à l'Islande et son climat, la culpabilité, le sentiment d'être spectatrice de sa vie de femme, d'épouse et de mère, en somme les turpitudes et délices (trop bref) de la quête de soi.
Ces sujets semblent bien tristes et pourtant ils ne sont pas dépeints avec chagrin, plutôt une délicate mélancolie. L'auteur a une écriture bohème digne de ce conte islandais où les flocons cristallins sont, en soit, un appel à la poésie. Il est préférable de suivre l'histoire sans en chercher le mot de la fin, avec curiosité, afin d'apprécier toute la poésie du récit.
C'est un livre, à mes yeux, à lire le soir pour celles et ceux qui aime s'endormir en se racontant une histoire. Un conte très sensible, avec un grain de folie qui pétillent à travers le style d'écriture, une évasion nordique et bohème ! 
Un succulent biscuit givré qui fond dans les doigts sans les laisser glacés. 
"On a l'impression de lire du Björk", me disait Mokka qui, pour le coup, ne s'est pas accrochée à l'univers de ce livre. Mais elle n'a pas tord, l'ambiance de ses chansons et celle du livre se rejoignent.  A vous de voir ! 
Bonne lecture à toutes et à tous !

SIGURDARDOTTIR, Steinunn, Le cheval soleil, 10/18, 187 p.

Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire, Jonas Jonasson

"La vengeance ne sert à rien, le sermonna Allan. Il en est de la vengeance comme de la politique. L'une mène à l'autre et le mauvais conduit au pire qui aboutit en fin de compte à l'intolérable. ", p. 100.

Allan Karlsson, le jour de son centième anniversaire, décide que non, il ne fêterait pas son anniversaire dans la maison de retraite de Malmköping dans le Södermanland, Suéde. Si Soeur Alice ne lui confisquait pas son alcool à chaque fois, si la nourriture avais pris l'allure d'un bon gueuleton bien arrosé, peut-être aurait-il aimé cet endroit.
Allan se sauva donc par la fenêtre (quoi de plus normal à cent ans !) et parti sans trop savoir où. Mais voilà, Allan est le genre de petit vieux au destin extraordinaire. 
Il se voit confier une valise à la gare routière de Malmköping par un jeune type à l'aspect crado et stupide, au t-shirt "Never Again". Sans trop savoir pourquoi, Allan prend le bus avec la valise, dont il ignore le contenu, sans attendre le retour du jeune voyou, parti aux toilettes.
C'est ainsi, et sans vraiment le faire exprès, qu'Allan s'improvise gangster centenaire en cavale. Car la valise contient plus de 37 millions de couronnes, appartenant à un groupe de mafieux sans grande crédibilité mais néanmoins dangereux, les "Never Again".
Démarre alors une course poursuite originale : la police recherche avec difficultés un centenaire évadé, les petits mafieux, un vieillard voleur de valise et Allan, un bon repas et pas mal d'alcool.
Dans sa cavale, Allan rencontre une ex-petite frappe devenue ermite polluant son voisinage, un vendeur de hot-dog s'improvisant chauffeur de voleurs de valise, une femme rousse jurant comme un charretier et même un éléphant domestique. Le tout poursuivi par les mafieux, poursuivis par la police, poursuivie par les médias.
En parallèle, l'auteur retrace la vie pas ordinaire d'Allan, expert en explosif, qui traversa l'Himalaya au cours de sa vie, rencontra Staline qu'il décrit comme fou furieux, Churchill, le frère d'Albert Einstein, Mao-Tsé-Tong et autres grandes figures de l'histoire.
On le verra, entre autres choses, donner la formule de la bombe nucléaire à un ingénieur russe au cours d'une beuverie et surtout parce qu'il le trouvait sympathique. On retrouve Allan dans chaque tournant important d'un siècle d'histoire avec beaucoup de fantaisie, une écriture fluide et un récit aussi structuré que décalé.
Ce livre est un agréable moment d'humour noir porté par un personnage des moins conventionnel très attachant, traversant sa vie au jour le jour sans se mêler de politique (même s'il y est constamment confronté !), juste des plaisirs simples de la vie, uniquement fidèles à ses impressions et son propre code moral.
A lire et relire, pétillant de petites phrases plus profondes que l'on ne s'imaginait en tout début de lecture, bref, un délicieux biscuit !

Je vous invite à lire le blog de l'association Les Libériades qui organisent de nombreuses rencontres littéraires au café Le Bal des Oiseaux à Rochefort. Mercredi dernier, nous avons présenté nos livres coups de coeur (et bien d'autres !) de la littérature du Nord, thème de la rencontre du 14 novembre. En cette occasion, j'ai pu présenter le livre de Jonasson et de Sigurdardottir. Allez y faire un tour !!

" Allan trouvait incompréhensible que les gens aient envie de s'entretuer au XVIIe s. S'ils avaient patienté un peu, ils seraient morts de toute manière. ", p. 77.

JONASSON, Jonas, Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire, Pocket, 507 p.