vendredi 23 novembre 2012

Citation piochée #1

"Et souviens-toi qu'il n'y avait pas moyen de faire autrement. L'ordre chronologique d'abord : au rez-de-chaussée, inconnu, mystère originel, merdier général, foutoir en combustion, bref les pièces communes. Au premier étage, légère émergence du chaos, balbutiements médiocres, l'homme nu se redresse en silence, bref, toi, Mathias. Montant plus avant l'échelle du temps...
- Qu'est-ce qu'il a à brailler comme ça ? demanda Vandoosler le Vieux.
- Il déclame, dit Mathias. C'est tout de même son droit. Il n'y a pas d'heure pour les orateurs.
-Montant plus avant l'échelle du temps, continua Marc, bondissant par-dessus l'Antiquité, abordant de plain-pied le glorieux millénaire, les contrastes, les audaces et les peines médiévales, bref, moi, au deuxième étage. Ensuite, au-dessus, la dégradation, la décadence, le contemporain. Bref, lui, continua Marc, en secouant Lucien par le bras. Lui, au troisième étage, fermant de la honteuse Grande Guerre la stratigraphie de l'Histoire et celle de l'escalier. Plus haut encore, le parrain, qui continue de déglinguer les temps actuels à sa manière bien particulière. [... ] On ne peut pas massacrer cette cage d'escalier qui demeure la seule chose qu'on ait mise dans le bon ordre. "

Debout les morts,  Fred Vargas, p.61.

jeudi 22 novembre 2012

Chocolat, de Joanne Harris


"Et à présent? À quoi est-ce que je crois en cet instant précis? " "Je crois qu'être heureux est la seule chose qui compte", lui répondis-je enfin. Le bonheur. Aussi simple qu'un verre de chocolat ou aussi tortueux que le coeur. Amer. Doux. Vivant. p. 216.

Lorsque le froid s'invite dans nos régions, lorsque le vent du Nord souffle l'hiver, lorsque les réjouissances culinaires des fêtes s'annoncent, il est grand temps de faire sa liste au Père Noël (Saint Nicolas, en ce qui me concerne!) et lui demander de succulents biscuits à dévorer avec les yeux de l'âme.

Aujourd'hui, je vous sors de ma boîte à biscuits, un classique de gourmandise littéraire : Chocolat de Joanne Harris. Découvert, il y a quelques années, grâce au film du même nom de Lasse Hallström, avec Juliette Binoche et Johnny Depp au casting notamment, j'avais adoré l'ambiance cinématographique alors pourquoi pas celle du livre? Absolument pas déçue par le livre, au contraire. Il regorge de petites douceurs et réflexions, absentes dans le film, plus dans la romance (je trouve) que le livre dont il s'inspire. Mais point d'étude comparative ! Et passons donc à notre table littéraire !

Vianne Rocher et sa fille de six ans, Anouk, "arrivent portées par le vent du carnaval", un 11 février, dans le village de Lansquenet-sous-Tannes, perdu dans la campagne française. Dès les premières pages, les effluves du carnaval, des crêpes chaudes et sucrées, des bonbons ramassés par terre et fourrés dans la bouche ou dans les poches, ces effluves nous happent dans un univers doux et mystérieux. Ces deux étrangères perturbent les villageois, qui les scrutent avec curiosité et froideur. Mais ils ne sont pas au bout de leurs surprises. Cette femme venue d'ailleurs avec ses vêtements colorés et sa fille à l'imaginaire débordant louent l'ancienne boulangerie, prés de la place de l'Église. Retapée, repeinte et aménagée, cette vieille échoppe devient une chocolaterie aux allures de bonbonnière.
Hérésie, aux yeux du curé Reynaud, que d'ouvrir ce lieux de débauche gustative, de plaisir des sens affiché, de tentations presque sensuelles, tout enrobé de chocolat, en plein carême ! Un brin sorcière, Vianne va pourtant timidement conquérir un bon nombre d'habitants, lisant dans les coeurs leurs malheurs qu'elle console avec du chocolat. Le pouvoir du chocolat est grand et sa fabrication se déroule comme un rituel païen, un enchantement des temps anciens.
Mais le curé Reynaud ne l'entend pas de cette oreille. Rien ne viendra compromettre la pieuse intégrité religieuse des habitants et ne le détrônera de son rôle de berger. Quoi de plus grand, de plus pur que le repentir, la volonté de Dieu pour adoucir le quotidien? Comment peut-on songer à ne pas jeûner, être miséricordieux et s'y maintenir contre tous plaisirs, tentations de l'enfer? La ferveur du curé, sous couvert de prêches manichéens sur le Bien et le Mal, obscurcie son jugement. Une guerre s'ouvre entre cette chocolatière nomade, athée, sans alliance et pourtant mère, trop délicieuse pour n'être pas tentante et ce curé, au passé sombre, à la culpabilité pesante et aux actes parfois cruels, justifiés, dans son imaginaire, par la volonté divine et le dévouement indéfectible qui l'accompagne.
Beaucoup de personnages différents croisent la route de Vianne et ses douceurs chocolatées. Certains s'apaisent, améliorent leur vie, d'autres luttent et s'engagent contre celles et ceux qui bouleversent leur sens de la moralité. Notamment ces gitans, installés avec leurs péniches sur les berges de la Tannes aux beaux jours. Un code de moralité toute "chrétienne" circule alors dans le village afin de boycotter l'arrivée de ces voyageurs.
Au-delà même du combat entre Vianne, sa chocolaterie, les nomades, le curé et ses partisans, ce livre parcours toutes les joies procurées par la gourmandise. Les saveurs sont décrites avec force et parfums, nous voyageons au rythme des confections sucrées et amères de Vianne, et ses bienfaits. Nous rencontrons des personnages d'un autre temps, au charme très commun et pourtant magiques au quotidien. L'écriture est fluide, poétique, incroyablement bohème et rafraichissante. Ce roman est devenu un classique de ma boîte à biscuits, un parfait cadeau à offrir encore et encore ! Sous une plume délicate et sucrée, on vogue aux grès du parcours de Vianne comme des autre protagonistes. Un vrai moment de délices et de magie, bohème et coloré comme j'aime.

Un pétillant biscuit à dévorer sans modération ! De ceux qui vous laissent des étoiles dans les yeux et les papilles !

"Oh, c'est évident. Entre sorcières, on se reconnaît j'imagine. " Elle éclata de rire, un rire qui ressemblait à des violons affolés. "M'sieur le curé ne croit pas à la magie, reprit-elle. À vous dire la vérité, je ne suis pas si sûre qu'il croie même en Dieu." Il y avait dans sa voix un mépris rempli d'indulgence. "Il a beaucoup à apprendre, cet homme-là, même s'il a un diplôme de théologie. Et ma sotte de fille aussi. On ne décroche pas de diplôme de vie, n'est-ce pas?" Je lui concédai que non, et lui demandai si je connaissais sa fille. p. 42.

HARRIS, Joanne, Chocolat, J'ai Lu, 382 p.


vendredi 16 novembre 2012

Le cheval soleil, de Steinunn Sigurdardottir


" J'ai toujours la photo dans mon portefeuille, où que j'aille, comme si c'était mon bien-aimé et qu'il fût mort, en plus. C'est que je tiens à m'avoir sur moi telle que je suis. Telle que tu m'as vue, et tu es le seul à m'avoir vue telle que je suis ou telle que je pourrais être. " p.64.

Contrairement au livre de Jonasson, le récit ne semble suivre aucun fil conducteur. Comme judicieusement précisé sur la quatrième de couverture, l'histoire est tissée comme une toile d'araignée et se lit comme un conte plus qu'un roman.
Lilla raconte l'histoire de sa vie dans une sorte d'enchevêtrement de petits chapitres, chacun propre à un souvenir. Elle décrit son enfance dans la maison de Sjafnargata, les jeux imaginaires partagés avec son frère Mummi, la quasi indifférence de ses parents, Ragnhildur et Haraldur, tous deux médecins et plus concernés par leurs patients qu'autre chose, la dissolution d'un orchestre de mandoline, sa nourrice, Magda, partie avant ses sept ans et seul référent maternel, sa vie de jeune femme amoureuse, l'échec de son mariage, ses filles, l'ombre de son amour d'adolescente sur sa vie. Le conte de son parcours nait lorsqu'elle revoit l'amour de sa vie, marchant dans les rue du village de son enfance, faisant l'effet d'un choc trop doux pour ne pas le sentir, trop tendre pour ne pas se raconter avec sincérité.
Tous les souvenirs se suivent sans réelle chronologie mais plutôt par thématique. L'enfance, des parents immatures, qu'elle nomme par leur prénom, la poussant à grandir trop vite, les séances de spiritisme dans le salon vert qu'affectionnent sa mère, les restes de repas qui nourrissent presque une semaine, sa rencontre avec Nelli, alcoolique un peu folle et mère orpheline de son enfant, sa solitude, son amoureux, les paysages d'Islande.
On explore les souvenirs de Lilla à travers les grandes interrogations de la vie : la mort, la réincarnation, les esprits, l'enfance, les chagrins d'amour inconsolés, l'amour et son pourvoir, les jeux imaginaires, les histoires qu'on s'invente, le rythme de vie particulier à l'Islande et son climat, la culpabilité, le sentiment d'être spectatrice de sa vie de femme, d'épouse et de mère, en somme les turpitudes et délices (trop bref) de la quête de soi.
Ces sujets semblent bien tristes et pourtant ils ne sont pas dépeints avec chagrin, plutôt une délicate mélancolie. L'auteur a une écriture bohème digne de ce conte islandais où les flocons cristallins sont, en soit, un appel à la poésie. Il est préférable de suivre l'histoire sans en chercher le mot de la fin, avec curiosité, afin d'apprécier toute la poésie du récit.
C'est un livre, à mes yeux, à lire le soir pour celles et ceux qui aime s'endormir en se racontant une histoire. Un conte très sensible, avec un grain de folie qui pétillent à travers le style d'écriture, une évasion nordique et bohème ! 
Un succulent biscuit givré qui fond dans les doigts sans les laisser glacés. 
"On a l'impression de lire du Björk", me disait Mokka qui, pour le coup, ne s'est pas accrochée à l'univers de ce livre. Mais elle n'a pas tord, l'ambiance de ses chansons et celle du livre se rejoignent.  A vous de voir ! 
Bonne lecture à toutes et à tous !

SIGURDARDOTTIR, Steinunn, Le cheval soleil, 10/18, 187 p.

Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire, Jonas Jonasson

"La vengeance ne sert à rien, le sermonna Allan. Il en est de la vengeance comme de la politique. L'une mène à l'autre et le mauvais conduit au pire qui aboutit en fin de compte à l'intolérable. ", p. 100.

Allan Karlsson, le jour de son centième anniversaire, décide que non, il ne fêterait pas son anniversaire dans la maison de retraite de Malmköping dans le Södermanland, Suéde. Si Soeur Alice ne lui confisquait pas son alcool à chaque fois, si la nourriture avais pris l'allure d'un bon gueuleton bien arrosé, peut-être aurait-il aimé cet endroit.
Allan se sauva donc par la fenêtre (quoi de plus normal à cent ans !) et parti sans trop savoir où. Mais voilà, Allan est le genre de petit vieux au destin extraordinaire. 
Il se voit confier une valise à la gare routière de Malmköping par un jeune type à l'aspect crado et stupide, au t-shirt "Never Again". Sans trop savoir pourquoi, Allan prend le bus avec la valise, dont il ignore le contenu, sans attendre le retour du jeune voyou, parti aux toilettes.
C'est ainsi, et sans vraiment le faire exprès, qu'Allan s'improvise gangster centenaire en cavale. Car la valise contient plus de 37 millions de couronnes, appartenant à un groupe de mafieux sans grande crédibilité mais néanmoins dangereux, les "Never Again".
Démarre alors une course poursuite originale : la police recherche avec difficultés un centenaire évadé, les petits mafieux, un vieillard voleur de valise et Allan, un bon repas et pas mal d'alcool.
Dans sa cavale, Allan rencontre une ex-petite frappe devenue ermite polluant son voisinage, un vendeur de hot-dog s'improvisant chauffeur de voleurs de valise, une femme rousse jurant comme un charretier et même un éléphant domestique. Le tout poursuivi par les mafieux, poursuivis par la police, poursuivie par les médias.
En parallèle, l'auteur retrace la vie pas ordinaire d'Allan, expert en explosif, qui traversa l'Himalaya au cours de sa vie, rencontra Staline qu'il décrit comme fou furieux, Churchill, le frère d'Albert Einstein, Mao-Tsé-Tong et autres grandes figures de l'histoire.
On le verra, entre autres choses, donner la formule de la bombe nucléaire à un ingénieur russe au cours d'une beuverie et surtout parce qu'il le trouvait sympathique. On retrouve Allan dans chaque tournant important d'un siècle d'histoire avec beaucoup de fantaisie, une écriture fluide et un récit aussi structuré que décalé.
Ce livre est un agréable moment d'humour noir porté par un personnage des moins conventionnel très attachant, traversant sa vie au jour le jour sans se mêler de politique (même s'il y est constamment confronté !), juste des plaisirs simples de la vie, uniquement fidèles à ses impressions et son propre code moral.
A lire et relire, pétillant de petites phrases plus profondes que l'on ne s'imaginait en tout début de lecture, bref, un délicieux biscuit !

Je vous invite à lire le blog de l'association Les Libériades qui organisent de nombreuses rencontres littéraires au café Le Bal des Oiseaux à Rochefort. Mercredi dernier, nous avons présenté nos livres coups de coeur (et bien d'autres !) de la littérature du Nord, thème de la rencontre du 14 novembre. En cette occasion, j'ai pu présenter le livre de Jonasson et de Sigurdardottir. Allez y faire un tour !!

" Allan trouvait incompréhensible que les gens aient envie de s'entretuer au XVIIe s. S'ils avaient patienté un peu, ils seraient morts de toute manière. ", p. 77.

JONASSON, Jonas, Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire, Pocket, 507 p.

mercredi 2 mai 2012

Mary and Max, d'Adam Elliot



Mary Daisy Dinkle a huit ans, vit dans une pathétique ville d’Australie, a « des yeux couleur gadoue » et une marque de naissance « couleur caca » sur le front. Elle s’ennuie et rêve d’avoir un ami. En attendant elle fabrique des figurines de Noblets, personnages de son dessin animé préféré, apprivoise son coq Ethel, boit du lait concentré et se console avec du chocolat. Sa mère, créature branlante et cigarette au bec, « teste » le sherry et « emprunte » tout un tas de trucs dans les magasins. Son père empaille des oiseaux morts retrouvés sur le bord de la route. Autrement dit, rien ne peut guère distraire l’enfant dont les parents noient leur propre chagrin (et ennui) dans leur coin. Un jour, Mary accompagne sa mère à la poste afin qu’elle y « emprunte » des enveloppes et, s’ennuyant profondément, il lui vient une idée. Elle choisit au hasard un nom dans l’annuaire de New York et décide d’écrire à cet inconnu. Une question la taraude : les bébés naissent-ils dans des bières à New York, comme en Australie, ou dans des canettes de Coca ?
Max Horowitz, nom tombé de l’annuaire, se surprend à répondre avec enthousiasme et difficulté. Effrayé autant qu’intrigué par les gens, Max n’a pas d’ami non plus et se découvre un allié pour affronté ses angoisses à travers les lettres de Mary.
Ce résumé parait bien succinct mais toute la saveur du film serait gâchée si j’en disais trop, faites moi confiance. Le portrait des personnages, leur propre façon de se décrire ou se dessiner, les angoisses et la solitude de Mary et Max sont de vraies perles d’humour et de sensibilité. 
Adam Elliot s’est inspiré de sa propre correspondance, de près de vingt ans, avec un autre « Max » et lui rend un hommage spécial à travers ce film. (Pour d’autres anecdotes et précisions sur l’idée et le travail entourant le film, voir ici.)   
BREF, film d’animation récent (sorti en 2009), nous sommes pourtant loin du faste numérique à la mode où l’explosion de couleur, les effets spéciaux vertigineux et la course au « réalisme » sont omniprésents. Et toute la poésie du film est là ! 

Le stop motion, technique complexe et longue (de moins en moins utilisée), fait de ce film un diamant poli. Le travail est visible sans alourdir le long métrage et le rend tout simplement éblouissant. Les couleurs sont volontairement pâles, limite absentes, sans être fades, la palette s’étendant du brun/ chocolat au gris/noir. Certains détails sont relevés avec une touche de couleur éclatante, rouge notamment, qui leur insuffle alors une présence particulière et symbolique dans l’histoire. L’univers est posé grâce à cette palette de couleur. Même aux moments les plus drôles, l’ambiance reste mélancolique, désespérée et incroyablement tendre. Toute l’habileté du réalisateur et scénariste s’exprime dans ce mélange d’ambiance impeccable. On n’est jamais complètement triste, jamais complètement hilare et pourtant on s’émeut d’un petit rien. Fantastique et très rare, mais ce n’est que mon avis.
Les personnages à foison entourent nos deux protagonistes avec intelligence. Ils ont tous leur place dans le récit et tous leur originalité. Chaque caractère communique à sa manière un message qui lui est propre, est un peu ou complètement fêlé sans être pour autant bon pour l’asile. Une folie douce entoure tout ce qui sort de l’imaginaire d’Adam Elliot et est très communicative, pari gagné ! 

En ce qui concerne la physionomie des personnages, je vous laisse juger par vous-même. Nous sommes loin des silhouettes longilignes de Tim Burton mais leur apparence tout en rondeur est tout aussi délectable et donne aux mouvements une signification (et émotion) très particulière. D’ailleurs, en parlant de Tim Burton, la comparaison est justifiée puisque ce film d’animation représente tout ce que ne fait plus notre cher et célèbre réalisateur, à mon humble avis. La folie, la tendresse, la dépression, les angoisses, les « gens », l’espoir et l’imaginaire sont aujourd’hui traités avec poésie, décalage et finesse par des réalisateurs comme Adam Elliot ou encore Henry Selick (Coraline).

Quant au thème musical, eh bien, je vais faire bref : il est simple et efficace. Mary et Max ont leur propre ambiance musicale, comme leur propre palette de couleur. Le «thème» de Max rappelle les vieux films new-yorkais de loubards, au rythme posé et sombre. Celui de Mary dépend de son âge mais l’enfance qui se vit et se perd sonne à chaque note. Les deux univers se distinguent sans complexe et se rejoignent sans heurts. 
Ce film d’animation est un véritable retour aux sources. Toute la poésie, la puissance narrative, l’intelligence du sujet sont véhiculées avec brio par des prouesses techniques non négociables. Adam Elliot, bravo. 


jeudi 12 avril 2012

Pavillons lointains, Mary Margaret KAYE




Dans ce sublime roman, on parcourt au fil des pages l’histoire de l’Inde en tant que province de l’empire britannique à travers la vie d’Ashok. Né Ashton Hilary Akbar Pelham-Martyn « aux abords d’un col de l’Himalaya », Ash est un Angrezi (Anglais). Son père, Hilary Pelham-Martyn un botaniste, ethnologue et linguiste profite de ses recherches pour voyager dans l’Inde « anglaise » du milieu du XIXe et surtout établir des rapports sur l’administration de la compagnie des Indes Orientales. Ashton est élevé par Sita, sa mère nourricière et domestique d’Hilary, après le décès en couche d’Isobel Ashton.
En direction de Delhi, après la mort d’Hilary et d’Akbar (ancien officier indien et ami d'Hilary), Sita constate que leur crainte d’une violente rébellion était justifiée. En pleine guerre de Crimée, l’empire britannique se soucie peu de ses provinces, financièrement comme socialement et regarde d’un œil absent les prémices de soulèvements. Assujettis, dépossédés et contraints, la situation des Indiens relève de la poudrière. Les cipayes se soulèvent (mercenaires engagés par les Britanniques) en 1857, massacrent les feringhis (étrangers), les Rana (rois) dépossédés se vengent, bref le chaos est total.
Dans ces conditions, Ashton devient Ashok, fils de Sita sous son ordre et ils fuient vers les montagnes pour éviter le massacre. Ils s’arrêtent à Gulkote, petite principauté coupée du monde aux frontières nord du Penjab. Gulkote représente un havre de paix pour nos deux compères, loin des affres de la rébellion, jusqu’à la naissance du fils de la Nautch ( "danseuse" du Cachemire), concubine du Rana de Gulkote. Ce jour-là, le fils ainé du Rana, Lalji, échappe de peu à une tentative d’assassinat grâce à Ash qui est engagé de suite au Hawa Mahal, le Palais des vents, au service du Yuveraj, Lalji. 
On découvre alors toutes les coutumes présentes au palais, de la place des femmes (épouses, concubines, filles) au Zenana à l’éducation des princes et princesses en passant par la découverte des Sati, veuves brûlées vives sur le bûcher mortuaire de leur époux, les courtisans et les intrigues de cour qui enveloppent le palais et le royaume entier.
Vite prisonnier du joug du Lalji, Ash avorte plusieurs tentatives d’assassinat envers le jeune prince. Sa perspicacité le menace de mort et averti par son amie, la petite princesse Anjuli, dit Kairi (« petite mangue pas mûre »), Ash doit fuir le palais avec Sita. Fuyants jusqu’au Penshawar, il se voit remettre par Sita les lettres d’Hilary, sa destination et son identité.
Ash se retrouve envoyé en Angleterre, accompagné du Colonel Anderson. L’auteur expédie en quelques pages les années passées dans les collèges anglais tout en traitant du choc des cultures. Dans le rapport avec les domestiques par exemple ; en Angleterre les règles sont austères pour Ash qui n’a pas le droit de partager ses repas, ni son temps libre avec eux tandis qu’en Inde le statut de domestique est plus que compatible avec celui d’ami, de confident.
Suit alors son retour aux Indes, formé comme un Angrezi de 19 ans, sa première histoire (et naufrage! ) d’amour avec Belinda, jeune Anglaise rencontré à bord du bateau de retour et son entrée dans les Guides, sorte de cellule spéciale de l’armée britannique aux Indes. Ash, devenu rapidement Sahib, attire l’attention de ses supérieurs et le respect de ses soldats. Son comportement d’Indien perturbe ses officiers qui n’œuvrent que pour la gloire de l’empire britannique en dépit parfois de tout bon sens. Ash garde en mémoire la leçon la plus importante inculquée par son père « Quoi que tu sois par ailleurs, reste juste. Ne fais que ce que tu voudrais qu’on te fît. Jamais, en aucune circonstance et envers qui que ce soit, tu ne dois manquer à l’équité. » 
Loin du cliché manichéen bon/méchant, Indien/Anglais, Ash n’est pas le défenseur d’une Inde écrasée par l’oppression britannique pour son auteure. Il est pour nous le regard d’un natif qui défend sa culture, comprend le point de vue des ses amis britanniques et tente de leur donner les clefs de compréhension de la culture indienne, imprégnée de tant d’autres depuis des siècles. Ash n’est pas un parti pris mais l’idée de la justice dans une période de l’histoire de l’Inde si bouleversée. Cette optique construit l’ensemble du roman à travers plusieurs découpages du récit. Les périples du jeune Ashok au palais de Gulkote à son entrée dans l’armée, des déboires amoureux à la survie de son amour pour Anjuli jusqu’à la guerre afghane, notre héros mûri en respectant ses propres lois.
Le roman nous tient constamment en haleine. Les aventures de notre héros sont autant politiques que sentimentales avec l’amour naissant (et prévisible) envers Anjuli, en danger à la mort de son époux, le Rana de Bhitor (je n’en dévoile pas plus !). Au-delà de la simple histoire d’amour dans cette partie du roman, c’est les pures traditions indiennes qui sont ainsi décrites par l’auteure. De la négociation de la dot à la somptueuse cérémonie du mariage, les couleurs et parfums orientaux nous happent loin de notre propre culture. 
Les personnages secondaires ont une importance non négligeable, autant britanniques qu’indiens. Ils mènent leur propre combat dans lequel Ash se retrouve parfois piégé, parfois engagé de son plein gré. Des amis aux ennemis, l’auteur dresse de magnifiques portraits d’hommes et de femmes attachés à l’Inde britannique, se démenant pour une vie libre. La liberté (face au devoir) est, selon moi, la clef de voûte de ce roman, le message subliminal du récit.
L’on reconnait un auteur brillant à la fluidité de son écriture malgré un sujet vaste et complexe. M.M. Kaye nous transporte avec un naturel brillant dans des contrées et une époque dont, personnellement, j’ignorais presque tout. Les données géographiques, historiques comme le vocabulaire arabe (petit glossaire présent en fin de livre) sont denses mais glissées avec tact dans le récit. (Une carte de l’Inde britannique, pour les plus studieux, est à garder sous la main pour mieux suivre Ash dans ces pérégrinations.) 
Petit bémol néanmoins, les coquilles ! Mon édition en est parsemée et gêne de temps en temps la lecture, notamment pour les noms et prénoms des personnages secondaires (très nombreux et aux consonances étrangères, donc pas forcément facile à retenir). Une légère inattention du lecteur et on s’imagine un nouveau personnage à cause d’une coquille.

Bref, un livre à lire et relire, un délicieux biscuit à consommer sans modération !!!

Pavillons lointains, M. M. Kaye, Albin Michel, Livre de poche, trad. Maurice-Bernard Endrèbe, publié en 1978, ed. présente sept. 2011, 1045 p.

dimanche 18 mars 2012

Inauguration!

Premier blog, premiers billets sur mes lectures, munissez vous d'indulgence et de patience ! Jeune étudiante, je vis encore d'amour et d'eau fraîche, je n'ai donc pas les moyens de m'offrir toutes les nouveautés littéraires (20/25e le bouquin, hum) donc les billets de "sorties" arriveront sûrement très en retard (le temps d'avoir la version poche en fait!).
Ici, on se fait plaisir, on bouquine, on critique, on argumente et SURTOUT on partage!! ( Pour les actus littéraire, j'ai plein de blogs à vous conseillez! ) 
Pas besoin d'épiloguer, l'essentiel est dit. Ah oui, aussi! ce blog n'est pas sectaire, les coups de coeur (ou de gueule ! ) culturels et artistiques sont les bienvenus! Des photos seront postées de temps en temps, des billets de films vus et à voir, des idées concerts, etc. 
Voilà!
A très bientôt pour le "vrai" départ !