samedi 2 mars 2013

L'atelier des miracles, Valérie Tong Cuong

"Le plus dur c'était d'éviter de penser. Parce que la gamberge, ça vous éparpille pire qu'une mine antichar. C'est pour ça que je parlais tout le temps."p.22

L'atelier des miracles, de Valérie Tong Cuong, ou comment vous faire battre le coeur à la chamade durant plusieurs centaines de pages. Avant toutes analyses, critiques ou citations, une petite phrase personnelle pour décrire mon vécu de cette lecture. Impossible, quelques soient ses expériences de vie, de ne pas s'identifier aux personnages. En cela, ma lecture n'a pas laissé mon palpitant tranquille ne serait-ce qu'une seconde. Des voix d'outre-tombes, vous dis-je ! Une "Madame Irma" révélant mes démons et mes doutes, humains et en cela partagés pour la plupart par le reste de mon espèce, ne m'aurait plus touchée que ce livre. Ou plutôt, ces histoires.

Trois personnages découpent le récit : Mariette, professeur d'histoire-géo dans un collège dit sans difficultés, mariée et mère de famille menant une vie rodée au millimètre près, sans aucune ride taquinant la surface d'un lac paisible, gifle un jour un élève redouté, bref craque complètement devant témoins ; Millie, jeune fille transparente d'une vingtaine d'années, sans substance (croit-on), se réveille dans son appartement en flamme et se jette par la fenêtre (instinct de survie ou désir de suicide ?), mais réchappe miraculeusement à sa chute ; et, enfin, Monsieur Mike, S.D.F d'une quarantaine d'années au parler délectable, ex-militaire, qui squatte un porche piqué à un clochard revanchard légèrement allumé du cigare, se fait sérieusement agresser par ce dernier et se retrouve à l'hôpital.
Leur point commun : un vie "ratée", une existence inexistante, des rêves avortés, des tragédies, des chutes libres, un homme appelé Jean et un Atelier un peu particulier.
Récupérés à la petite cuillère par Jean, ces personnages vont vivre quelques semaines dans l'Atelier, association ayant pour but de réparer les âmes brisées et dont on dit qu'il fait des miracles. Loin du salut chrétien (et donc abnégation divine, devenir meilleur, patipata), l'auteur raconte, à travers la voix de ses trois personnages, le chemin parcouru, les fracas, les âmes déchirées et étiolées en cour de route et l'idée de sublimer la destruction passée. Les personnages sont touchants, leur désespoir pur et surtout pas excessivement frustrant pour le lecteur. Je m'explique. 
Lorsqu'un écrivain traite du désespoir, dirais-je commun, d'un être originaire (j'entends ce que nous avons vécu, ce que nous pourrions vivre, ce que l'on craint de vivre, bref pas une tragédie grecque, plutôt une tragédie "banale"), il est délicat de ne pas verser dans l'excès purement artistique, un effet de style sans grand intérêt afin de rendre extraordinaire ce qui ne l'est pas ou l'est uniquement dans sa simplicité, son essence (comme ce que je suis en train de faire maintenant, par exemple), qui frustre le lecteur et lui donne irrémédiablement envie de botter les fesses d'un protagoniste, de le secouer un bon coup, énervé par l'apathie que génère le désespoir. Autant dire, traiter du désespoir de Monsieur ou Madame-Tout-Le-Monde n'est pas un exercice aussi facile qu'on l'imagine. Entre le cliché, le snobisme ou le déversement d'emphases pseudo artistiques, difficile de faire de l'ordinaire une fiction originale.
Et là, pépite de dosage : l'atelier des miracles. Oui, les personnages sont au fond du trou, ils n'y croient plus, ils se sentent cuits et broyés par la vie, fatalistes, et pourtant une part d'eux continue de lutter, continue à crier l'envie de vivre autrement, autre chose, le désir de survie à travers celui d'exister. Mais on les comprend parce qu'on est tous passé par là, on a tous eu des épreuves à surmonter, plus ou moins difficiles, plus ou moins surmontables. Alors, non, ils ne nous agacent pas au fil des pages. Au contraire, on sent la renaissance proche, on sent qu'il se passe un truc vraiment chouette dans leur vie, un changement, un virage, un croisement et autres mauvaises comparaisons routières que j'ai en tête. Question de dosage, vous dis-je. On suit leur périple, on cherche à savoir si l'Atelier est une association caritative ou un filière tordue d'une mafia en proie aux remords en recherche de rédemption, on doute de la sincérité de chacun et on craint qu'ils ne redégringolent à la moindre agression du monde. Ils sont fragiles nos personnages mais ils sont captivant de force et d'envies, alors on les bichonne de page en page. On tremble pour eux, on veut savoir comment ils vont affronter tel ou tel passage, on apprend des choses sur leur passé aussi. 
Bref, on suit une drôle de séance psy sans la caricature du psy lui-même, juste les mots d'un écrivain, ô tellement plus réjouissants et véritables. On est loin d'une analyse de psycho-magasine, on est dans la "prouesse" littéraire (c'est pas du Chateaubriand non plus mais fluide, clair et concis) avec une vulgarisation du désespoir, des pensées "décortiquées" avec coeur par l'auteur et loin d'une découpe chirurgicale des émotions. Ça déculpabilise d'être humain, en somme. Vous savez, les émotions, les sentiments, les erreurs, les échecs, les victoires, les humiliations, les trucs qu'on nous demande de supporter parfois jusqu'à l'insupportable. Bah voilà, ce livre vous remet à leur juste place deux ou trois trucs de la vie, sans trop de morale, sans dichotomie affligeante; vous remets un coup de collier sans slogan de "winners", bref il fait sacrément plaisir. Se lit aussi vite que je mange un croissant, argument de vente indéniable parce que je mange les croissants très très vite, c'est un fait.

Une belle fiction aux allures de roman initiatiques, pas besoin d'avoir lu Proust ou d'être expert en psychologie de comptoir pour apprécier ce roman et comprendre les mécanismes décris. Petite note négative, à mon humble avis, pour la fin. Sans la révéler, je l'ai trouvée un peu simplette voire clichée par rapport à l'ensemble du livre qui évite pourtant, parfois de justesse, certains autres clichés tentants. Ah oui, petite mention spéciale pour l'image attachée à la couverture que je trouve sublime (sobre mais originale, j'adore). Et l'auteure emploie par petite touche le mot "grappe" dans son livre, délicieusement placé et qui donne à la phrase une dimension très visuelle. C'est anecdotique, certes mais j'aime bien !

Un bon biscuit, à trimballer dans la poche et à partager ! Régalez-vous !


L'atelier des miracles, Valérie Tong Cuong, ed JC Lattès, 2013, 266p.

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